Intelligence Artificielle, de l’opportunité à la réglementation
27 avril 2021
Quelle est la nouvelle politique de réglementation des systèmes d'intelligence artificielle annoncée par la Commission Européenne ?
Data science
Innovation
Le 11 mai 2022, lors d’une conférence destinée aux développeurs, Google a dévoilé un générateur d’images nommé Imagen censé concurrencer le logiciel DALLE-2 d’OpenAI. Cet algorithme est capable de générer des images à partir d’une description textuelle simple. Il devient possible de transformer des descriptions insolites en image telles qu’ « une statue en marbre d’un Koala DJ devant une statue en marbre d’une platine. Le Koala porte de gros écouteurs en marbre », « un cobra géant constitué de maïs dans une ferme » ou, « un geai bleu debout sur un grand panier de macarons arc-en-ciel ».
« Une statue en marbre d’un Koala DJ devant une statue en marbre d’une platine. Le Koala porte de gros écouteurs en marbre. » ; « Un cobra géant en maïs dans une ferme » ; « Un geai bleu debout sur un grand panier de macarons arc-en-ciel. »
© Google, Imagen
Ces avancées technologiques démontrent une tendance inévitable : L’IA tend à automatiser l’ensemble des étapes de production dans les industries créatives, et plus spécifiquement dans l’industrie audiovisuelle.
Les algorithmes sont non seulement capables d’initier l’écriture d’un script à partir de l’analyse d’un grand nombre de données mais ils peuvent également faciliter les tâches liées à la pré-production (p.ex., optimisation du calendrier, suggestion de lieux de tournage, sélection des acteurs) ou à la post-production (p.ex., effets spéciaux, ajout de scène posthumes, vieillissement d’acteurs, montage, création de bande annonce, composition de musique). Enfin, les algorithmes de prédiction et de recommandation permettent d’optimiser le lancement et le marketing de ces contenus (p.ex., prédiction de score au box-office, choix d’une date de sortie, ciblage des spectateurs).
L’utilisation de l’intelligence artificielle au sein d’industries dont le cœur de métier est la créativité remet-elle en cause la fonction même de l’artiste et ses intentions ?
Les performances au box-office sont intimement liées aux caractéristiques des films. Vault AI, une startup israélienne a développé une plateforme de marketing et d’analyse prédictive capable d’analyser le potentiel au box-office, « la bingeability » et le buzz d’un film en s’appuyant uniquement sur « l’ADN de l’histoire principale » identifié à partir d’un scénario brut ou d’une bande-annonce. Cette plateforme s’appuie sur 30 ans de revenus au box-office, les budgets des films, les données démographiques du public et les informations sur les acteurs. Environ 75% des prédictions de Vault AI sont « assez proches » des scores d’ouverture des films.
Alors que 18.6%1 des films ne parviennent pas à engranger des recettes supérieures à la moitié de leur budget, les sociétés de production sont à la recherche de « l’algorithme à blockbuster » afin d’optimiser leur retour sur investissement. Il devient possible de schématiser le succès au box-office de films à gros budget en les dotant d’ingrédients gagnants : par exemple, 30% de courses poursuites, une scène de sexe, une fusillade etc. D’ailleurs, une grande partie du cinéma hollywoodien consiste à écrire des scenarios qui s’adaptent aux exigences du marché (Disney, Marvel, Star Wars) et tirent parti des succès passés en produisant des dérivés, suites et antépisodes composés des mêmes recettes gagnantes.
L’entreprise Vault AI a récemment conçu un nouvel algorithme nommé WHAT IF qui donne la possibilité aux créateurs de contenu de demander continuellement à la plateforme ce qu’il adviendrait de leur création après des modifications spécifiques : « Et si nous changions le personnage principal en un homme, cela augmenterait-il la probabilité que notre série soit renouvelée pour une saison supplémentaire ? ».
Cela tend à faire du cinéma une industrie de plus en plus dictée par les scores au box-office, et par extension, par ce que le public souhaite, plutôt que par la vision et la créativité singulière d’un artiste.
Ce sont les plateformes de streaming comme Netflix ou Amazon Prime qui tireront leurs épingles du jeu au détriment des autres acteurs du monde de la culture. En effet, grâce à la grande quantité de données, les compétences techniques de leurs équipes et les infrastructures avancées dont elles disposent, elles ont toutes les cartes en main pour exploiter au mieux des algorithmes de plus en plus opaques. En effet, comme le résume le producteur de musique français Pierre Walfisz : « Cette opacité profite toujours à quelqu’un : aux puissants. Le faible a moins d’accès à certaines informations, et tout est très compliqué pour les artistes, car tu ne peux pas construire une stratégie de promotion sur un système dont tu ne comprends pas les règles. »
Même si les artistes qui utilisent l’IA insistent sur le fait que la machine reste un outil, le statut légal de certains contenus n’est pas dénué de paradoxes. La SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) n’admet comme titulaires que les personnes physiques. L’IA attise la curiosité et certains artistes surfent sur cette vague du paradoxe en entretenant l’ambiguïté autour de la paternité de l’œuvre : d’un côté, ils reconnaissent que la composante humaine est décisive, mais de l’autre, ils jouent avec l’idée qu’une machine puisse en être la créatrice. En matière de communication, il est clair qu’il est plus accrocheur d’attribuer la création d’une œuvre à l’inspiration d’une machine plutôt qu’aux efforts d’un être humain. D’autre part, en apprentissage automatique — et particulièrement en Deep Learning — la machine propose parfois des résultats qui surprennent jusqu’aux concepteurs des algorithmes. Cette imprévisibilité amène donc l’artiste à sentir qu’il n’a pas traversé seul le processus de création.
Les hautes institutions garantes de l’essence artistique accentuent cette illusion. Le 12 mai 2017, la Fédération luxembourgeoise des auteurs et compositeurs (FLAC) s’est adressée au ministre de la Culture pour protester contre la société AIVA (Société créant des bandes sonores personnalisées en s’appuyant sur l’IA) mandatée pour composer la musique de la cérémonie de la fête nationale : « Si maintenant le ministre de la Culture commande une œuvre composée par une IA nichée au fond d’un ordinateur et l’impose pour la cérémonie de la Fête nationale, nous considérons cela comme un affront vis-à-vis des compositeurs et compositrices luxembourgeois, une claque en plein visage de tous les créateurs et créatrices dans tous les domaines artistiques. »
En 2012, le Creativity Research Journal dirigé par le Dr. Mark Runco a défini la créativité comme la combinaison de deux critères : l’originalité et la valeur. La créativité se caractérise par la capacité à trouver des schémas cachés, d’établir des liens entre des phénomènes apparemment sans rapport et de générer des solutions originales et créatrices de valeur. Le lien entre valeur et IA est clair : l’IA, en détectant des modèles et schémas dans un grand ensemble de données génère des idées exploitables par l’industrie audiovisuelle car créatrice de valeur, mais dont le caractère original est à nuancer.
En effet, alors que les artistes précurseurs font preuve d’innovation, amorcer de nouveaux paradigmes en poussant le public dans ses retranchements, les algorithmes se calquent sur l’existant, sur des codes et des caractéristiques courantes (caractéristiques du film d’horreur, de la comédie romantique…). Ce rapport à l’existant entraîne une uniformisation et une stagnation des contenus et pose les prémices de la « créativité industrialisée » ; Une forme de créativité dont le processus s’appuie sur des mécanismes éprouvés pour générer de la valeur.
Néanmoins, d’après Jérôme Neutres, commissaire de l’exposition Artistes et Robots, « ce que ne font pas ces robots, c’est de créer et inventer des mondes (…). Certaines œuvres créées par une IA naissent avant tout d’une intention humaine. Même si l’algorithme crée l’image, c’est nous qui avons l’intention. »
Un art d’un type nouveau peut surgir de la collaboration entre humains et machines. Ce nouveau paradigme introduit une perspective nouvelle, de la même façon que la photographie a modifié la perception de la peinture. Un nouveau concept apparaît alors pour qualifier cette collaboration : « L’artiste augmenté ».
Néanmoins, une prise de recul de l’artiste sur ce nouveau modèle de création sera nécessaire afin d’éviter les biais qui en découlent. En 2017, seulement 12 %2 des recherches scientifiques effectuées autour de l’Intelligence artificielle sont menées par des femmes. Cette sous-représentation pourrait accentuer le manque de parité actuel au sein de l’industrie cinématographique : En 2020, 16%3 des 100 premiers films du box-office américain ont été réalisés par des femmes.
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